Delenda est Quinta Respublica
La nécessité pour Macron de se démarquer de son premier mandat a mis en ébullition la marmite politicienne et chacun fait de belles annonces. Faut-il y croire ? ou analyser la position de chaque force politique dans le champ des luttes des classes de la période, comme je vais tenter de le faire. Cette analyse s’appuiera sur la constatation principale développée dans mes précédents articles : après plus d’un siècle d’existence la capitalisme a évolué depuis 1945 vers le gestionnisme qui en France est maintenant dominant. Le problème revient à chercher quelles sont les classes du gestionnisme et quels partis propagent leurs projets.
LA SITUATION EN MAI 68 ET SON EVOLUTION
On considérera d’abord la longue période de transition marquée par le grand chambardement de Mai 68 dans lequel trois protagonistes ont révélé trois grands axes politiques : le gouvernement de Gaulle, le Parti Communiste et les contestataires.
Le gouvernement de Gaulle
Gouvernement à majorité gaulliste sans la moindre velléité de faire cesser la domination capitaliste de la bourgeoisie, il remporte la bataille politique mais accumule les concessions à la classe ouvrière et doit compter avec l’atlantisme des républicains indépendants. Il entame une longue marche derrière les pérégrinations de Chirac, qui conduiront, d’abord à la noyade gaulliste dans Maastricht, puis au refus d’appliquer le référendum de 2005, enfin à assembler autour de lui, sans réelles perspectives nationales, les forces bourgeoises contre le candidat Jean-Marie Le Pen. Les cohabitations avec le PS et son européisme montrent son peu d’hostilité au gestionnisme dans lequel sombre petit à petit ses militants ressentant les effets de la disparition de la bourgeoisie nationale
Le Parti Communiste
Adepte léniniste d’un mode de production qui a eu une influence considérable et même parfois victorieuse contre le capitalisme, il s’est trouvé dans une position inconfortable devant l’apparition d’un autre ennemi du capitalisme qu’il n’avait pas prévu et qui lui ravissait sa place de seul opposant. Son attitude hostile au mouvement a éloigné de lui une partie de la classe ouvrière. C’était le début de sa perte d’influence dans la vie politique.
Les contestataires
L’étincelle, née à la faculté de Nanterre, s’est répandue à la Sorbonne et à enflammé tout le milieu universitaire. La contestation étudiante porte sur l’ensemble de l’ordre bourgeois dans une totale radicalité. De violentes manifestations émaillent sa progression et font surgir un trio inconnu : Cohn Bendit, Sauvageot et Geismar qui deviendront les interlocuteurs du gouvernement. Cohn Bendit par son sens de la provocation sera la cible privilégiée du pouvoir et du Parti Communiste.
Après la grande manifestation du 13 mai, les travailleurs entrent dans le mouvement par la multiplication de grèves illimitées. La jonction avec les étudiants sera combattue par la CGT et le PC, ce qui permettra au gouvernement de se maintenir jusqu’aux jours d’une possible négociation sur les revendications ouvrières. Quels sont les forces qui ont émergées ?
Les groupuscules - Ils poursuivent l’agitation mais, sans perpective originale, ils en reviennent au léninisme qu’ils prétendent conserver dans sa pureté originelle hors de la déviation stalinienne. Malgré leur militantisme, ils ne réussiront pas à entraîner le monde du travail et finiront dans un rôle politique très mineur.
La CFDT - De création toute récente à partir d’une sortie de la CFTC, la confédération syndicale est aux premières loges de la contestation et fut la seule à offrir un débouché politique : l’autogestion. Ce mot mal composé eut un avenir certain. Il est très symptomatique qu’au lieu d’en appeler à l’autonomie des entreprises, la CFDT invente ce mot nouveau pour signifier que les travailleurs ne veulent pas la propriété de l’entreprise mais exigent d’en assurer la gestion à la place des patrons jugés incompétents. On est en plein gestionnisme.
Le mot autogestion perdra son caractère magique, mais la confédération poursuivra une ligne moderne en faveur des exploités pour devenir la principale organisation syndicale supplantant la CGT.
Le PSU - Il s’est constitué quelques années auparavant par la fusion du PSA et de l’UGS, deux organisations qui se sont retrouvées dans la lutte contre la guerre d’Algérie. On peut dire que ce fut le seul parti de forme traditionnelle à se jeter dans la contestation en communion avec les étudiants. Il regroupe, en plus atténuée, la même mouvance que celle les groupuscules et il subit des attaques de toutes parts pour la multiplicité de ses tendances. Son évolution sera marquée par la sortie successive des plus radicaux du moment.
Venu du PSA, Rocard en assure le secrétariat général. Il se présente à la présidentielle de 1969 où il recueille un peu plus de 3%, pas tellement moins que le tandem Deferre-MendèsFrance. Deux textes d’orientation s’affrontent au congrès de Toulouse (1973). La majorité menée par Rocard présente le Manifeste du PSU qui se veut le texte de référence du “socialisme autogestionnaire“. La minorité dans son texte “Vers le communisme“ dénonce l’autogestion comme le pouvoir des cadres et souhaite une orientation en faveur des plus défavorisés, porteurs du communisme.
Après le soutien complet à la lutte des travailleurs de Lip, les discordes se raniment face à la présidentielle de 1975. Les rocardiens souhaitent soutenir Mitterand, la minorité propose une candidature Piaget. Battue, cette minorité quitte le PSU et finalement le courant Rocard épaulé par des militants cédétistes forment ce que l’on appelle “la deuxième gauche“ qui entre au PS. C’est le moment où je comprends que le PSU est l’expression d’une nouvelle classe : la classe compétente, classe dominante du gestionnisme en marche. Elle n’est anticapitaliste que pour prendre la place des propriétaires dans la gestion des entreprises, puis dans celle de la société.
En même temps quelques militants autour de Brice Lalonde commencent un regroupement en faveur de l’écologie et présentent la candidature Dumont à la présidentielle.
Le PSU disparaît en 1986, n’ayant, pour ainsi dire, rien à offrir en dehors de l’écologie ; il cède sa place à ceux qu’il avait eu le temps d’influencer.
Le PS - En 1968, la SFIO au passé prestigieux est à bout de souffle. Elle succombe l’année suivante et, en 1971 au congrès d’Epinay, ses résidus fusionnent avec les Conventionnels pour former le PS qui élit au Secrétariat général, Mitterrand nouveau converti au socialisme. Ce parti, malgré ses prétentions, n’est pas le successeur de la SFIO de Jaurès ou de Blum, c’est un conglomérat disparate qui saura jouer de cette ambiguïté pour attirer tout ce qui bouge. En particulier, en 1974, il intègre la “deuxième gauche“ dont le leader Rocard espère peut-être un avenir politicien rapide. C’était compter sans le florentinisme de Mitterrand.
En 1981, son gouvernement prend des mesures anticapitalistes qui seront vite abandonnées au profit d’une sagesse libérale. Les cohabitations avec Chirac se passent sans heurt et les deux compères se précipitent dans les bras de l’UE. Avoir des socialistes adeptes de la concurrence libre et non faussée ne gêne en rien ni Jospin ni Hollande, ainsi va le PS de plus en plus au service des multinationales.
Les écologistes - Ils forment plutôt une mouvance qui cristallise en petites formations changeantes au cours de la période. Ils résistent cependant et doivent être considérés comme l’avant-garde du gestionnisme. Ils attaquent le capitalisme à sa base : la croissance.
LA SITUATION ACTUELLE
On a vu dans le précédent article que la division sociale du mode de production gestionniste pouvait être, selon JK Galbraith, résumée, en deux systèmes : un secteur planifie la société et exploite l’autre à son profit par des contrats de sous-traitance léonins ; le second “de marché“ est composé de petites entreprises dirigées par leur propriétaire. Ce découpage est mondial, les multinationales maximalisant leurs profits sans se soucier des frontières au nom de la libre circulation des capitaux et des marchandises.
Le gestionnisme domine, mais subsistent encore des restes de capitalisme.
LR - Les entreprises du capitalisme étaient dirigées par la bourgeoisie dont les partis gaullistes étaient une des expressions. Au fur et à mesure de l’introduction du gestionnisme, la bourgeoisie s’est scindées en deux : la petite dans le système de marché, la grande se fondant dans les actionnaires du système planificateur. Cette transformation a provoqué le long effritement des partis sous la bannière de Chirac. Aujourd’hui, il ne reste plus que LR, parti du résidu de la force capitaliste bourgeoise. Sans avenir, il oscille entre le secteur de marché (RN) et les actionnaires (Macron)
Le P.C. - Le parti communiste français tirait son influence de sa défense de la classe ouvrière. Avec l’automatisation des entreprises et la sous-traitance dans les pays à faible coût de main d’oeuvre, cette classe s’est sans cesse amenuisée et ne constitue plus un socle conséquent pour un projet de société. Le PC ne conserve plus que son rôle de défense des exploités, une sorte de CGT bis.
Le système planificateur
Les forces politiques attachée au système planificateur ont vu le jour après la grande levée des boucliers anticapitalistes. Comme ce système, elles se rattachent à une vision mondialiste des problèmes.
Le P.S. - Né en 1971, il amalgame des cadres modernistes (les conventionnels) et des résidus socialistes. Très rapidement, il absorbe la “deuxième gauche“ qui lui apporte l’appoint des compétents d’un gestionnisme dans ses débuts, mais qui fera de lui, tout au long de sa croissance, le parti de la “bureaucratie des sociétés anonymes“. Son duo avec les partis chiraquiens représente la nécessaire collaboration entre un système national de production et le système planificateur, tant que ce dernier reste faible. Mais le PS n’hésite pas, dès que possible il se se précipite dans l’européisme, relai vers le mondialisme des multinationales.
Hollande se déclare l’ennemi de la finance mais il appelle au gouvernement Macron, homme de chez Rothschild et prend comme Premier Ministre Vals qui s’écrit « j’aime l’entreprise ». Tout le PS est dans ce flou entretenu pour camoufler son gestionnisme qu’il élargit à la défense de la nature.
Les écologistes - En tant que gérants de l’environnement, ils sont mondialistes et s’accomodent fort bien du gestionnisme qu’il souhaite encore plus vigoureux. Récemment ils parlent de le concilier avec les intérêts des classes exploitées, mais comment ? A leur début, Dumont se déclarait favorable au socialisme autogestionnaire. Aujourd’hui Jadot peut s’allier avec Faure.
La France insoumise - Créée en 2016, elle est difficile à situer. Le principal repère est la carrière politique de Mélanchon qui débute en 1968 dans la contestation. Il est membre de l’OCI, groupuscule trotskiste des plus doctrinaires, en 1976 il entre au PS tendance Mitterrand dont il se détache vers la gauche, en 2008, il quitte le PS pour fonder Gauche qu’en 2016, il élargit dans La France insoumise. Insoumise à quoi ? Probablement à la ligne du PS jugée trop éloignée du petit peuple. Lointain héritier des contestataires, laFI est le parti de défense les employés du système planificateur, car pour s’accaparer le travail intellectuel, il n’en faut pas moins disposer d’un petit personnel.
L’entente électorale, la NUPES, trouve sa cohésion dans son appartenance au système planificateur, mais elle rassemble, si j’ose dire, les nobles et les serfs ou les maîtres et les esclaves. Cette contradiction s’est clairement manifestée lors des négociations du premier tour des présidentielles. Elle n’a pas disparu et les macroniens soulignent l’européisme des uns et le peu d’enthousiasme des autres vis à vis de l’UE. Il est peu probable qu’elle amène Mélanchon au poste de Premier Ministre, car on ne peut pas dire que la NUPES soit le résultat de l’appel au Tiers Etat, censé le porter à cette fonction.
LERM - On remarque que ce parti (si on peu vraiment parler de parti) est créé au même moment que la France Insoumise. Ils sont aux deux extrêmes du système planificateur. La République En Marche cache bien son jeu, en marche vers quoi. On ne sait. De toute façon elle n’est ni de droite ni de gauche ; autrement dit, elle ne sert à rien, au mieux elle est conservatrice. Pour moi, si elle représente un groupe, ce serait les rentiers du système planificateur, les actionnaires des multinationales. Ils n’ont pas besoin d’apparaître dans la nation : le partage des bénéfices tirés au niveau mondial leur suffit. Ils ont leurs organisations, les banques, et il est conséquent que Macron ait fait ses armes chez Rothschild.
Le système de marché
C’est lui le travailleur matériel de la société dans des perspectives fixées par le système planificateur. Il est formé de petites entreprises où les propriétaires n’ont pas délégué le pouvoir de gestion à des “employés rémunérés“. Il comprend aussi le petit commerce, l’artisanat, les paysans qui, avec les progrès de la numérisation, sont dans l’obligation de gérer leur activité suivant les règles des petites entreprises.
Le mouvement poujadiste fut la première manifestation du refus de la tutelle planificatrice des grandes surfaces en voie de développement. Son succès électoral en 1956 avec le slogan « sortez les sortants » permet à Jean-Marie Le Pen de parfaire sa formation politique et, en tant que député, de se donner une stature nationale. Ce fut un feu de paille et la carrière politique de premier plan de Pierre Poujade ne dépassa guère 1958.
En revanche, Jean-Marie Le Pen « sollicité par le mouvement nationaliste Ordre nouveau, participe en 1972 à la fondation du Front national (FN), dont il prend la présidence. » (wikipédia). Pendant de longues années, il poursuivra cette ligne que médias et politiciens qualifieront d’extrême-droite. Sa personnalité et ses provocations alimenteront en arguments ses adversaires, mais finiront par en faire un recours pour les mécontents du petit peuple, se substituant ainsi dans ce rôle à un PC déboussolé par la pérestroïka. A la consternation des politiciens, Jean-Marie Le Pen accède au second tour de la présidentielle de 2002.
Cette divine surprise pousse le FN à se débarrasser de l’étiquette “extrême-droite“, mais le patriarche tient à conserver la même image. En 2011, sa fille lui succède et petit à petit atténue les points les plus brûlants. En 2012, elle change le nom du parti pour en faire le Rassemblement National. Dans l’éventail politique toutes les places sont prises. Sans même théoriser cette évolution, le RN passe de parti du petit peuple mécontent des planificateurs à parti du sytème de marché où il retrouve les catégories qui ont soutenu le poujadisme. C’est presque un retour au source.
Cette base sociale solide donne de bons espoirs au RN dont les opposants ne peuvent plus crier à l’extrême-droite. Sa présence au second tour des présidentielles est bien l’expression de cette solidité. Il lui sera cependant difficile de se hisser à la première place pour deux raisons :
le système de marché n’existe que par le système planificateur qui lui sous-traite les activités matérielles et le maintient hors du travail intellectuel de gestion,
le système planificateur a tendance à passer ses sous-traitances hors de France dans les pays à faible coût, donc à réduire le système de marché national
LA COALITION RN-laFI
Le système planificateur tire une partie de ses bénéfices de contrats de sous-traitance à son avantage, tous ses composants sont plus ou moins des exploiteurs. JK Galbraith avait déjà remarqué que les employés des technostructures étaient dans une situation plus enviable que les ouvriers de la production.
Les patrons des petites entreprises sont exploités par la sous-traitance, mais par rapport à leurs ouvriers, s’ils en ont, ils sont en position d’exploiteurs. L’audience du RN est peu marquée par cette contradiction interne d’un système de marché français dont les composants comprennent beaucoup d’entreprises familiales dispersées dans les campagnes.
La coalition RN-laFI n’est pas exempte d’ambiguïté , mais si on regarde les résultats du premier tour des présidentielles, on voit que laFi fait de bons scores dans les villes et le RN dans les campagnes. La coalition de ces deux forces au second tour des législatives a des chances de dépasser les macroniens à la fois dans les villes et dans les campagnes, donc d’obtenir la majorité absolue des sièges. Pour ce faire, il faudrait que laFI et le RN se mettent d’accord pour que celui de leurs candidats, qui arrive derrière l’autre au premier tour, se retire du second.
C’est peut-être un rêve, mais c’est la seule solution pour freiner politiquement le système planificateur mondialiste et pour remettre les exploités de la nation au centre de la politique. Remarquons que cette coalition réunit tous les citoyens dépourvus de pouvoir de gestion dans l’actuel mode de production et d’échange, le gestionnisme. On peut presque dire qu’ils font partie des modernes “damnés de la Terre“. Hommes et femmes privés des attributs du citoyens par les institutions et leurs modes de scrutin iniques, ils sont comme le Tiers États à la veille de la Révolution de 1789.
Cette coalition est aussi le plus sûr moyen de se protéger des méfaits d’un président-despote qui règne selon son bon plaisir avec pour devise “telle est la loi que j’ai fait voter par une Assemblée Nationale à ma botte“