Delenda est Quinta Respublica
Pour moi, le terme “Cinquième République“ désigne le contrat social qui lie la nation française. Il s’exprime dans de nombreux champs : les traditions, la culture, les religions, les territoires, les modes de production et d’échange,…les institutions, en particulier politiques.
Détruire le pacte social, “vaste programme“. Soyons raisonnables. Contentons-nous de la démolition des points les plus néfastes qui sous-tendent la charpente de l’édifice. Mais quels sont-ils ? Cela demande réflexion et je m’y consacre depuis des années. On en trouve des bribes à travers mes livres et les articles de mon blog. Je ne vais pas reprendre cet exposé, mais me couler dans la mode actuelle d’un changement de constitution. C’est un peu réducteur mais une société forme un tout dont les éléments interagissent et reflètent sa cohérence. La constitution est un point important des institutions et c’est sans doute la raison pour laquelle certains cherchent en elle la cause du malaise actuel.
« S’il arrivait enfin que le prince eût une volonté particulière plus active que celle du souverain, et qu’il usât, pour obéir à cette volonté, de la force publique qui est dans ses mains, en sorte qu’on eût, pour ainsi dire, deux souverains, l’un de droit l’autre de fait ; à l’instant l’union sociale s’évanouirait, et le corps politique serait dissous. » citation de Rousseau dans mon livre Le chemin de Mai 1968- L’Harmattan 2018 page 34. Tel est l’excellent diagnostic qu’on peut porter sur la situation politique présente : un souverain de fait , Macron, et un souverain de droit, le peuple français. »
Ce n’est pas rien. Il a fallu un demi siècle pour que le malaise engendré par cette situation se fasse sentir au niveau des particuliers et des médias. En quoi la Constitution de la Vème République en est-elle responsable ? Difficile à discerner tant cette constitution est particulièrement retorse : ce n’est pas le chef de l’exécutif qui est devenu le souverain de fait, mais le Président auquel a été donné un pouvoir en contradiction avec le rôle qui lui est assigné.
La lecture d’une constitution n’est pas une activité très attrayante. Ça n’a rien d’un roman. Au lieu de rentrer dans la jungle de tous les articles, je me propose de mettre l’accent sur ceux qui ont changé par rapport à la constitution précédente, celle de la IVème République, car je me suis aperçu que les rédacteurs d’une nouvelle constitution, s’intéressant aux mêmes grands thèmes que leurs prédécesseurs, les abordent dans un ordre différent, celui de l’intérêt qu’ils leur donnent.
Ainsi les deux constitutions commencent par un préambule et un titre 1 : de la Souveraineté, dont les différences de forme sont dues à l’époque de leur rédaction. Sur le fond elles donnent les définitions des concepts exactement dans les mêmes termes, par exemple :
« La devise de la République est : « Liberté, Egalité, Fraternité. »
Son principe est : gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple.
Article 3 - La souveraineté nationale appartient au peuple français.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l’exercice.
Le peuple l'exerce, en matière constitutionnelle, par le vote de ses représentants et par le référendum. »
Ils sont bien d’accord. Mais ensuite, en 58 le titre 2 porte sur le Président de la République, en 46 c’est du Parlement et il faut attendre le titre 5 pour trouver du Président de la République. Les deux rédactions montrent une grande continuité, sauf un article supplémentaire particulièrement pernicieux ajouté en 58:
« Article 12 - Le président de la République peut, après consultation du Premier Ministre et des Présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée Nationale. »
Le Président est seul maître à bord, sans aucun contrôle.
Soyons complet : un article semblable figurait dans la constitution de 46 sous le titre : du Conseil des Ministres car c’était le président du Conseil, le chef de l’exécutif, qui avait ce pouvoir de dissolution, mais alors avec de tels garde-fous que les commentateurs ont souligné l’inutilité d’un tel article. C’est l’inverse pour l’article 12 utilisé à maintes reprises.
D’abord, comment ose-t-on proclamer qu’aucun individu ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté du peuple et en même temps donner au Président le pouvoir discrétionnaire de renvoyer dans leur foyer les représentants chargés de l’exercer.
L’hypocrisie est totale, elle est la marque de la Cinquième République. La plupart des politiques nous abreuvent à longueur de discours de la démocratie française, la confondant avec l’État de droit, comme s’ils ne savaient pas que, depuis des décennies, le droit français n’est plus l’expression de la souveraineté du peuple. L’Assemblée délibère sous la menace : si elle s’avise de déplaire au bon plaisir du souverain, elle est dissoute. Aussi, en général préfère-elle se coucher ; surtout, nous le verrons plus loin, que tout a été fait pour qu’elle soit dans les mains de la faction présidentielle.
Cette chape d’hypocrisie a eu pour principale conséquence de répandre le discrédit de la politique dans toutes les sphères de la société . Le débat n’ayant plus lieu d’être, le lieu prévu, dans la constitution de 58 pour l’organiser (« Article 4 - Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. » , encore une hypocrisie) sont devenus de simples écuries à candidat. Dans le contexte créé par la constitution, les questions nationales à débattre ont laissé place à des questions posées au Président, guide suprême qui a réponse à tout. Où est le peuple souverain ?
Le peuple est toujours là. Mais, comme le souligne André Bellon, dans sa video sur Youtube diffusée le 15 octobre dans un mail du “réseau social laÏque“, la vie politique est inexistante et son grand souci est de la faire renaître. Pour lui, la réforme des institutions ne doit pas résulter d’échanges entre spécialistes, mais de débats organisé à la base. Je pense qu’il a pleinement raison dans son analyse. Mais je suis plutôt pessimiste sur la possibilité d’amener un peuple, complètement sorti de la politique pendant de si nombreuses années, à s’intéresser au fonctionnement des institutions.
Il faudrait au préalable sortir la nation de l’idéologie gaullienne, celle de l’homme providentiel et du discrédit des partis. Parler de la constitution dans son ensemble risque de faire le jeu des spécialistes et des privilégiés dont je crains que grâce à leur main mise sur les médias, ils ne réussissent à détourner tout débat vers le maintien du statu quo sous une autre forme.
Changer la constitution, d’accord. Mais, surtout ne pas se perdre dans les méandres d’une centaine d’article. Se concentrer sur les méfaits de l’idéologie gaullienne et des quelques points utilisés pendant des décennies pour éliminer le peuple, souverain de droit, et le remplacer par un souverain de fait, aujourd’hui Monsieur Macron.
Ce sera l’objet de mes prochains textes qui reprendront en partie celui du 23 mars 2023 intitulé “Delenda est Quinta Respublica“