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21 janvier 2024 7 21 /01 /janvier /2024 19:10

 

                                                         Delenda est Quinta Respublica

 

        Depuis sa naissance en 1958, la Constitution de la Vème République a été, comme l’écrivait Georges Vedel en 1978, remplacée par une pratique qui, consiste à la lire « comme si tous les pouvoirs attribués au Gouvernement par les textes étaient en réalité à la disposition du président de la République », diagnostic sans appel par un professeur de droit constitutionnel. En termes plus directs disons :

        la Vème est une autocratie dont le despote par un coup d’État permanent accapare tous les pouvoirs.

Cette pratique, remarque Georges Vedel, demande que  le chef de l'État soit le maître du gouvernement et le chef de la majorité.

 

            Comme on l’a vu dans le précédent article, l’historique de la vie politique française est rythmée par des réformes qui tendent toutes à donner plus sûrement au Président la maîtrise du Gouvernement et de l’Assemblée. Ceci grâce au mode des élections législatives (scrutin uninominal à deux tours avec élimination des petits candidats à partir des résultats du premier tour) et leur tenue dans la foulée des présidentielles. Les élections ne se font plus autour des orientations politiques ; les élus à l’Assemblée sont devenus, comme ceux du Sénat; des notables locaux. Il n’y a plus de partis où des débats dégageraient des orientations politiques, mais des écuries pour porter au pouvoir le poulain choisi

 

Comme le remarquait J.J. Rousseau, dans cette situation de confusion des pouvoirs et de leur concentration aux mains d’un seul, le contrat social qui soude la nation perd tout son sens : la République Française se désagrège, les services publics sont à vendre.  Depuis soixante ans que ça dure, ce vide a fini par se diffuser dans tout le corps social. Les citoyens commencent à se poser la question de l’identité française et cherchent en vain un recours pour la faire renaître. Certes la faction des godillots s’est étiquetée Renaissance, le mot ne les effraie pas : régnant depuis des années au garde-à-vous, ils n’hésitent pas à se prétendre aptes à rompre les rangs. La vie politique n’est plus qu’une comédia del arte, à vrai dire pas très drôle. Les acteurs improvisent facilement leur rôle puisqu’il consiste à applaudir le grand Manitou. Récemment,  nous avons eu la loi sur les retraites puis celle sur l’immigration où la Première Ministre a rempli le rôle défini par son maître.

 

Qu’à cela ne tienne, pour la récompenser, sans le moindre avis de l’Assemblée devant qui elle était responsable, le grand Manitou, tout en la félicitant, l’a renvoyée passer sa retraite sur les bancs de l’Assemblée où elle pourra se remonter le moral par quelques gorgées de calvados.. Et les hommes politiques même ceux de l’opposition se prêtent à ces mascarades, les médias ergotent comme si nous étions dans un régime démocratique, comme si l’Assemblée était une image correcte des courants politiques, comme si le grand Manitou ne bafouait pas la Constitution , comme si tous ces discours avaient la moindre valeur. Ce n’est plus une comédia mais une pantalonnade, une farce dont nous sommes les dindons.

 

Il faut en finir avec ces simulacres de vie politique qui se répercutent dans tous les échanges sociaux. Les mots eux-mêmes perdent leur définition, on nous parle de démocratie au lieu d’autocratie, de classe moyenne sans savoir leur rôle dans la division sociale, d’une intelligence artificielle qui n’est que le rabâchage de réactions connues contrairement à l’intelligence qui est la faculté d’imaginer des solutions nouvelles, l’école est vidée de son rôle humaniste, l’individu est laissé sans boussole. Le mal est profond d’autant que les énormes moyens de diffusion sont aux mains des multinationales et de leurs relais macronistes.

 

Que Faire ? Je ne sais trop. S’étant formés dans ce bain despotique dont ils tirent avantages grâce aux fonctions accordées par le grand Manitou, les politiques actuels ont verrouillé toute possibilité de changement du système. Depuis La déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le monde entier est considéré comme une entité politique : pour élaborer le droit, les nations n’existent plus, chaque citoyen n’est qu’un grain de sable sans aucun pouvoir face aux forces économiques, impérialistes, européistes. Qui plus est, l’universalisme trouve un répondant chez les écologistes dans la défense du climat, des océans, des glaces polaires,… Cette désuétude du rempart politique national pousse à un regain de tous les communautarismes.

 

Il est certain que ce n’est pas là qu’on trouvera la régénérescence de la République. Ne pouvant pas atteindre les polichinelles de la comédia par les voies électorales dont ils contrôlent tous les rouages, on ne peut leur exprimer notre dégout de leurs mascarades qu’en s’abstenant d’y jouer le moindre rôle politique que ce soit en tant que candidat ou électeur. Personnellement, j’ai décidé de ne plus voter tant qu’ils n’auront pas aboli l’élection au suffrage universel du grand Manitou, élément fondamental qui lui permet de s‘arroger tous les pouvoirs, de régner en despote.

 

 

 

 

 

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11 juillet 2023 2 11 /07 /juillet /2023 10:43

                                       Delenda est Quinta Respublica

 

 D’après les médias, lors du conseil des ministres du 24 mai, Macron a déclaré :

       il faut travailler en profondeur pour contrer ce processus de décivilisation

 

La civilisation : ensemble des caractères communs aux sociétés les plus complexes, suivant la définition du Petit Robert 

 

 

            Ainsi, nous avons perdu notre civilisation. Nous sommes décivilisés ou tout au moins en voie de l’être. Macron a oublié un détail : en France, le principal décivilisateur, c’est lui. C’est lui qui se donne le droit, non pas de défendre les caractères communs, mais d’imposer les siens. Comment veut-il qu’il y ait civilisation dans un pays où les évolutions sociales ne sont pas l’aboutissement d’une réflexion de toute la société, mais le résultat  des foucades d’un seul ?

 

        L’homme est un animal politique. La cité dont il se reconnaît citoyen se caractérise par sa civilisation, c’est à dire par les caractères qui la soudent en un ensemble cohérent. La civilisation des Fidjiens n’est pas la même que celle des Français. Celle dont parle Macron est sans doute la nôtre, qui s’est constituée pendant de longs siècles d’élimination de certains caractères et  de création d’autres. Les civilisations traversent des crises et nous savons aujourd’hui qu’elles sont mortelles. La nôtre est-elle en voie disparition ?

 

        Au point où nous en sommes, il semble que l’expression “civilisation française“ ait perdu tout sens d’avenir et ne se rapporte plus qu’au passé, car son support le plus concret, la nation française, est en train de disparaître. Naturellement la France, définition d’une portion géographique de la Terre, est toujours là. Mais partout où elle est définie, les citoyens qui l’habitent n’ont plus le réflexe de se référer à leur nation, aux caractères qui ont fait son Histoire. Jls sont soumis à l’envahissement de la civilisation états-unienne et à la démission des politiques. En première ligne Macron.

 

        Dans tous les domaines,  les yeux se tournent vers ce qui se passe outre-Atlantique. Au delà de la science et de la technologie, la culture, en particulier musicale, est entièrement submergée, la politique se transforme en économisme et la langue elle-même est en train de s’angliciser. Le danger est si évident que Macron nous invite à sortir de cet engrenage. Mais pour aller où ? Il ne trouve rien de mieux que le paradis européen dans lequel la civilisation française se dissoudra ; or ce paradis ressemble comme deux gouttes d’eau à la civilisation états-unienne. Nous y sommes presque.

 

       Il faut réanimer le “civil“, c’est à dire ce qui est commun à toute la nation. Il faut abandonner tout recours à des initiatives individuelles et organiser le maximum de confrontations politiques entre les citoyens. Le premier acte en profondeur, serait d’éliminer tous les relents d’homme providentiel. Monsieur Macron, donnez l’exemple : démissionnez. Non sans avoir au préalable redonner le goût d’un peu de démocratie en dénonçant le fonctionnement aberrant de nos institutions avec leur cortège d’élections d’un individu.

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17 mars 2023 5 17 /03 /mars /2023 11:09

 

                                                            Delenda est Quinta Respublica

 

        Mon texte précédent sur “mes années en politique“ renvoyait à une vidéo qui, à ce sujet, rappelait le moment historique où le changement de mode de production s’est cristallisé dans le grand mouvement social de Mai 68 et dans  la création du PSU. L’évolution de ce parti est révélatrice des péripéties liées à l’installation du nouveau mode production avec sa classe dominante, la classe compétente. Mais, en son sein comme à l’extérieur, la plupart des protagonistes politiques en est restée à l’idéologie de la lutte contre la bourgeoisie, car elle servait de couverture à leurs intérêts. Encore aujourd’hui, où bourgeoisie nationale et classe ouvrière sont en déclin avancé, personne ne veut voir quelle est la contradiction qui sépare dominants et dominés. La réflexion politique est obscurcie, voire éliminée, par des considérations pratiques de communication dont les médias se délectent jusqu’à plus soif.

 

          “mes années en politique“ couvre donc cette période charnière, où le mode  de production et d’échange à dominance gestionnaire commence à prendre l’ascendant sur le mode ancien à dominance productrice, où les multinationales se substituent aux nations. Très schématiquement, on peut dire que les deux décennies 60-70 ont entériné au niveau politique l’amenuisement du rôle des ouvriers dans la production face aux machines automatisées et l’impuissance de la bourgeoisie nationale à maîtriser le développement des moyens de production. Les propriétaires du capital de l’entreprise devenaient incompétents pour gérer l’ensemble des unités regroupant les machines nécessaires à une production de masse d’objets de plus en plus sophistiqués.  On peut diviser la période en deux phases : l’ascension de cette perception politique dans les années 60 et son point culminant, en 1968, son effacement progressif dans les années 70.

 

          Pour plonger au coeur du problème, commençons par le mouvement de Mai 68

« ... C’est aujourd’hui l’invention des “systèmes d’informatique”, liés à l’ordinateur qui, remettant fondamentalement en cause les modes de transfert, l’assemblage des éléments de décision, et la répartition des pouvoirs intellectuels, dans la plupart des disciplines, rend possible la critique radicale de la société industrielle traditionnelle. ... Et la renaissance intellectuelle, dont le signal a été donné, aura des conséquences politiques évidemment profondes, dans ce pays comme dans les autres, à mesure qu’une nouvelle démocratie européenne, aussi ”directe” que possible, va s’élaborer dans un douloureux enfantement. » (Jean-Jacques Servan-Schreiber, L’Express n°883 des 20-26  mai 1968, “Le défi et la renaissance“)

Pour moi, l’auteur donne une excellente analyse en profondeur, même si je ne partage pas son optimisme sur la démocratie européenne.

 

          Voyons maintenant le point crucial mis en avant par les contestataires :

« Or c’est un fait qu’à travers la volonté d’autogestion s’expriment à la fois un refus et un projet :

    - un refus, celui de la toute puissance d’un État que la bourgeoisie a modelé en fonction de ses intérêts, et il est significatif qu’il s’accompagne d’un refus d’un État analogue à celui que l’URSS impose à ses travailleurs comme à ceux des démocraties populaires …..

  - mais aussi un projet, celui d’une société où les hommes soient capables de prendre en main leurs propres affaires, de prendre eux-mêmes les décisions …. (Michel Rocard, Préface  in Manifeste du PSU, Théma Éditions, 1972,  p. 19.)

Le refus est bien celui des contestataires, le projet ausst. Mais le problème fut : comment concrétisé le second ? A travers le mot lui-même transparaît que le souci majeur n’est plus la production mais l’auto-gestion, la  gestion par soi-même.

 

L’émergence politique - Pour les multinationales, l’essentiel est de supprimer les obstacles à leur extension.  Leur thème favori est la liberté d’entreprendre et, comme leur nom l’indique, à l’échelle mondiale. Ce mouvement en marche depuis des décennies a pris son envol à partir de la Deuxième Guerre Mondiale, soutenu par les Etats Unis dont la plupart des multinationales sont issues. Le grand coup idéologique porté aux nations fut, en 1948, la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Impulsée par l’ONU et les USA, se substituant à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, elle proclame que les droits ne résultent plus de citoyens, membres d’une nation, mais d’une liste de considérations élaborée au sein d’organismes internationaux. Homo internationalis est constitutionnalisé.

 

          La première urgence fut de détruire les nations les plus fortes qui, grâce à leurs empires, formaient des forteresses autonomes , la décolonisation ne se fit pas sans guerre. En France, le coup d’Etat de 1958 créa la Vème République qui soumettait le pouvoir des élus de la nation au pouvoir d’un seul. Face à cette évolution despotique et pour la paix en Algérie, la SFIO éclatait en 1958. Les scissionnistes rassemblés dans le PSA participèrent en 1960 à la recomposition de la gauche dans un nouveau parti :  le PSU. Il s’affirmera par son opposition résolue à la guerre d’Algérie et à partir de 1962 par son refus de La Vème République. D’autant que profitant de la paix et de l’indépendance de l’Algérie, de Gaulle renforçait son pouvoir personnel en 1962 avec l’élection du Président au suffrage universel et en 1966 par les lois organiques relatives aux élections législatives. Dans le même temps le PSU s'est largement appuyé sur la déconfessionnalisation et la scission majoritaire de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), qui devient la Confédération française démocratique du travail (CFDT) en 1964.

 

            A la fin des années 60, cette nouvelle mouvance est qualifiée de deuxième gauche par rapport à la première centrée autour de la classe ouvrière et de ses organisations traditionnelles (SFIO, PC et CGT). Seuls quelques analystes essaient de comprendre les contradictions sociales nouvelles qui se reflètent dans l’évolution politique. La grande majorité ne voit que des différences d’idées et le mouvement de Mai 68 ne lèvera pas cette ambiguÏté.

 

L’effacement politique - Le mois de grèves et de manifestations débouche sur une période troublée, animée par les groupes qui se sont révélés pendant les événements. D’un coté, les trotskistes, les maoïstes multiplient les initiatives en faveur d’une révolution ouvrière ; malgré leur dynamisme, ils n’arrivent pas à s’imposer et disparaissent. D’un autre coté, le PSU rassemble de multiples tendances qui recouvrent l’éventail des options des groupuscules extérieurs. Lieu des compromis, il est plutôt celui des affrontements. Au congrès de Lille de 1971, on compte encore 5 ou 6 tendances. Le débat politique tout au long des années s’étiole et se réduit à la question de l’alliance avec les forces du programme commun, d’abord refusée puis recherchée par la majorité du parti. En 1974, Rocard n’hésite plus : avec ses partisans et le soutien de la deuxième gauche, il entre au PS. Paradoxe : la majorité qui se forme après son départ n’aura de cesse de vouloir s’entendre avec les forces dites de gauche au prétexte de les rallier au socialisme autogestionnaire. Le Courant Communiste Autogestionnaire a tenté de remettre les pendules à l’heure avec l’analyse de la classe compétente (cf. vidéo : https://vimeo.com/showcase/9968044), mais ce fut un discours que personne ne voulait entendre, surtout pas au PSU qui courait à sa disparition dans l’écologisme, ni les médias assoiffées de banalité.

 

           En fait, toute la vie politique est depuis cette époque viciée par une analyse sociale dépassée, celle de la gauche du 19ème siècle, sous couvert  de laquelle la nouvelle classe dominante justifie son aspiration au pouvoir. La droite en marche se recommande de la démocratie teintée d’un zeste de pitié sociale. La droite, qui se dit “de gauche“ et est présentée comme telle dans les médias, ne fait guère mieux et s’ébroue dans un combat biaisé par une constitution despotique. Et pendant ce temps là, les multinationales prospèrent sous l’égide des institutions françaises, européennes et internationales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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21 novembre 2021 7 21 /11 /novembre /2021 11:34

 

 

Vous me demandez s'il est possible d'en donner une définition. Oui, à condition qu'elle laisse place à toutes les interprétations, à toutes les interventions. Pour moi, l'identité de la France est incompréhensible si on ne la replace pas dans la suite des événements de son passé, car le passé intervient dans le présent, le « brûle".

      Fernand Braudel               Le Monde 24-25mars1985

 

 

Plus que jamais, avec l’approche de l’élection présidentielle apparaît le thème de l’identité française, expression extensive à merci qui recouvrirait l’ensemble des caractères et des valeurs, propres aux Français. Vaste composé, issu des traditions, des institutions et de la langue, sans que chacun des citoyens en ait bien conscience.

 

Au cours d’une émission radio, j’ai entendu un intervenant déclarer que pour lui l’identité française avait pour caractère premier l’universalisme. Aucun des autres participants n’a réagi alors que cela m’a paru contradictoire. Comment penser que ce qui caractérise les Français, c’est l’universalisme ? Cela veut-il dire que les Français pensent que tous les hommes se rattachent à une même identité, ce qui revient à reconnaître qu’il n’y a pas d’identité française ? Ou cela veut-il dire que les Français pensent que leur identité devrait être partagée par tous les hommes, ce qui conduit  à une certaine satisfaction de soi et risque d’aller jusqu’à l’impérialisme ?

 

Le premier sens est pour moi une balourdise que malheureusement j’ai souvent entendue, présentée comme une marque de la gauche. Le deuxième sens devenant une marque de la droite.

 

J’ai ouvert mon dictionnaire Larousse de 1970,

identité : caractère de ce qui est un tout en présentant plusieurs aspects.

 

Par exemple, quand j’étais enfant, on disait que les Français étaient célèbres pour tremper leurs tartines beurrées dans leur bol de café au lait. Lorsque j’ai fréquenté quelques symposiums internationaux, je me suis aperçu que c’était vrai. Les peuples ont en matière de repas une identité propre. L’identité française culinaire me semble d’ailleurs aller s’atténuant. Mais ce n’est pas à cette dernière qu’on se réfère dans les discours électoraux des présidentielles. Encore que, peut-être faudrait-il y réfléchir ?

 

Quand on prétend diriger la France, on ne descend pas à ce niveau, on se gargarise des valeurs de la République sans la moindre précision ; l’identité française politique semble donc commencer par une adhésion à la  république avec une multiplicité d’aspects. À l’école, les enfants apprennent que l’histoire de la république en France a commencé à la Révolution de 1789, qui a fait d’eux des citoyens libres et égaux en droit, fidèles à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Cette rupture avec la royauté dans un des pays les plus riches de l’époque est considérée comme un événement majeur de portée mondiale dont les Français peuvent être fiers. Ce qui en général ne manque pas.

 

Mais, ce n’est qu’un point particulier du tout que forme la France et les Français, car le “tout“ comprend tout : tant les points physiques (les frontières, les montagnes, les fleuves, les plantes, les campagnes, les villes, …) que les points spirituels (l’histoire, la religion, les institutions, la littérature, l’art, la culture, … et particulièrement la langue). Vue ainsi, l’identité se confond avec l’Esprit d’un peuple tel que le considère Hegel dans La raison dans l’Histoire. Pour lui, cet Esprit «s’accomplit dans la mesure où il sert de transition vers le principe d’un autre peuple, et c’est ainsi que s’effectue la progression, la naissance et la dissolution des principes des peuples. La tâche de l’histoire philosophique consiste précisément à montrer l’enchaînement de ce mouvement» (Bibliothèque 10/18 , Librairie Plon, 1965, p. 87). Ce détour vers la philosophie me permet de voir dans l’identité française un tout présentant plusieurs aspects qui changent en fonction du temps. J’en viens ainsi au problème politique qui a envahit les médias : à quelle identité nationale se réfère Zemmour ?

 

D’abord remarquons que chacun de nous a son identité propre formée de ses caractères innés et de ses caractères acquis dans sa famille et dans sa vie sociale. On peut dire que l’identité d’une nation est la synthèse des identités des citoyens sachant que ces dernières comprennent des caractères acquis au cours de leur vie au contact  de l’identité nationale. Il y a une certaine corrélation, mais aussi des écarts dus aux évolutions de l’une et des autres.

 

On peut se représenter toute identité comme la stratigraphie formée de l’empilement de caractères qui accompagnent les événements. L’identité d’un individu est subjective et celle d’une nation une notion floue dont chaque individu se forge sa vision en rapport avec sa propre identité. On peut dire que les options politiques sont déterminées par ce rapport, si les deux sont proches le citoyen est plutôt conservateur, sinon, comme il est difficile de connaître les identités futures, il est plutôt réactionnaire (“c’était mieux avant“). Les insatisfaits préfèrent souvent se réfugier derrière un autre caractère particulier qu’ils considèrent comme principal.

 

Par exemple, personnellement je garde une certaine nostalgie du monde des paysans pauvres de mes grands parents chez lesquels je passais mes vacances scolaires à l’époque de mon enfance avant la Deuxième guerre mondiale. J’ai ensuite adhéré avec enthousiasme à Mai 68, sans doute en raison de l’influence de ma vie professionnelle consacrée à l’inclusion de l’informatique naissante dans les problèmes scientifiques et techniques. J’ai alors approfondi mon identité d’homme de gauche en me pénétrant des concepts exposés par Marx et Engels dans L’idéologie allemande. J’ai naturellement soutenu la lutte des paysans du Larzac. Telles pourraient être quelques strates de mon identité politique.

 

Pour bien comprendre le problème que j’ai posé ci-dessus, il faudrait aussi disposer de l’histoire philosophique de la France. Telle qu’elle m’apparaît (sans prétention de certitude), je distingue trois grandes périodes d’identité française en rapport avec les institutions : l’identité monarchique (avant 1789), l’identité républicaine (1789-1958) et l’identité monocratique (depuis 1958). Ce découpage est purement abstrait, les strates de l’identité nationale s’accumulent en continu. Par exemple l’identité républicaine connaît des phases d’avancée et de recul tout au long du 19ème siècle. Après la poussée de la Révolution, l’identité monarchique est resté prégnante par son caractère le plus marquant, la religion. Il faut attendre la défaite de Napoléon III pour voir le caractère religieux s’affadir, puis être marginalisé en 1905 . En même temps, le caractère “ lutte des classes“ apparaissait et atteignait son apogée au Front populaire.

 

Faire de l’identité nationale un enjeu politique tend à privilégier le terrain spirituel. A priori, les caractères matériels sont tout aussi fondateurs de l’identité d’une nation. Leur prise en compte rapproche le concept “identité“ du concept “mode de production“, par exemple les identités nationales républicaine et monocratique que j’ai essayées de distinguer sont pratiquement en phase sur ma définition des modes de production capitaliste et gestionniste. Toutes ces circonvolutions, montrent que le concept d’identité française reste difficile à appréhender.

 

Son utilisation politique  par Zemmour  joue sur ces ambiguïtés qui lui permettent toute une palette de provocations. Personnellement, je  m’intéresse peu à tout le battage médiatique sur ses déclarations. Par la date de sa naissance, il se situe dans la période de montée de l’identité monocratique et cette inclination est renforcée par son métier de journaliste. Me semble-t-il, il ne se désole pas outre mesure de la dégénérescence des caractères de l’identité républicaine comme ceux attachés à la petite paysannerie ou à l’étude du français à l’école primaire ou à la souveraineté populaire ou aux services publics. Ce qui est logique. Il ne s’élève pas non plus contre le remplacement de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

 

En revanche, il craint que la religion musulmane ne devienne prépondérante. Certes  le nombre des citoyens musulmans joue sur le caractère religieux de notre identité, mais est-ce encore un caractère dominant comme aux temps anciens de l’identité monarchique ?  Que ne dénonce-t-il la faiblesse des salaires des travailleurs exécutants ? Tout à fait dans l’esprit de notre identité monocratique, cette faiblesse encourage le recours à une main d’oeuvre bon marché soit immigrante, soit utilisée directement dans son pays. Zemmour s’intéresse plutôt à certains  caractères monarchiques mis en avant par le courant tardif qui s’opposait encore à l’identité républicaine à l’époque de la fin de cette dernière.

 

De tous ces efforts de compréhension, je tire  la conclusion que le concept d’identité recouvre de telles ambiguïtés que sa mise à la mode n’est que le résultat du déclin du politique, imputable aux institutions de la Vème République dont le caractère monocratique a détruit toute approche collective des problèmes de la nation. On patauge avec délice dans les identités personnelles de candidats qui prétendent parler au nom de l’identité française. Or, l’identité nationale est un tout, qui plus est, amalgame disparate du long passé de la nation. Quiconque s’en recommande manifeste sa tendance totalitaire. En tant que perspective politique, elle est le contraire de la démocratie qui  reconnait la variété du peuple et cherche à résoudre chaque problème par un compromis. La superficialité politique actuelle  ne commencera à s’estomper que par la suppression de l’élection phare du système : la présidentielle qui fait du Un l’expression du Tout.

 

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