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9 juillet 2021 5 09 /07 /juillet /2021 11:50

 

Depuis quelques années, chaque fois que j’ai eu l’occasion d’entendre des interventions de Madame Natacha Polony, soit à la radio, soit dans des réunions, j’ai été heureusement surpris : enfin une personne jeune qui baigne dans le milieu médiatique et qui donne un sens aux événements politiques loin des idées reçues de la classe dominante. Aussi dés que j’ai appris qu’elle venait de publier un livre intitulé Sommes-nous encore en démocratie ?, je l’ai acheté malgré son titre peu engageant ; en effet, chacun sait que depuis plus d’un demi-siècle la France n’est pas en démocratie et je ne me pose plus cette question.

 

Il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. Les premières pages de présentation du livre sont en quelque sorte un discours de la méthode, de la méthode du pouvoir pour discréditer les opposants : les désigner sans cesse par des mots négatifs pour s’attribuer à soi-même les mots positifs. Elle cite, par exemple, les paroles de Macron sur la comparaison entre son action et celle des dictatures, elle les résume par la formule : « Il y a blanc, il y a noir, choisis ton camp, camarade ! » (p. 8) Elle donne d’autres exemples. Sur les Gilets Jaunes, elle constate que tout de suite taxés de “populisme“, ils ont été méprisés puis réprimés, permettant ainsi à leurs éléments les plus radicaux de répondre par la violence ; le cycle enclenché, il est facile de rejeter tout le mouvement dans le “fascisme“. Et Polony ironise : « Le populisme est ce fléau qui fait que les citoyens votent mal, que parfois même ils expriment leur colère dans la rue, qu’ils nourrissent vis à vis des institutions de nos belles démocraties une défiance aussi déplorable qu’inexplicable » (p. 11).

 

Ceci l’amène au chapitre suivant : « La démocratie contre les peuples », où elle commence par se demander si les “élites “ n’en viendraient pas à « songer à limiter le droit de vote aux diplômés » (p. 21). Puis, elle donne ses jugements sur la Vè République: « Si l’élection au suffrage universel du président de la République est d’inspiration plébiscitaire, poussant donc les candidats sur la voie du populisme, les évolutions progressives des institutions, à la fois par la pratique et par les différentes réformes institutionnelles, ont conduit à faire de la Vè République une machine à consolider un pouvoir illégitime » (p. 23). Ou encore : « La spécificité de la France, ce sont ces institutions verrouillées  qui permettent que, depuis trente ans, quel que soit le vote des électeurs, la même politique soit reproduite. » (p. 27) . Comme de juste, elle rappelle le refus des pouvoirs d’appliquer la décision du référendum de 2005, en ajoutant : « Ce rappel suffit à agacer très fort ceux qui n’aiment la démocratie que quand le peuple vote bien. Parce que c’est une épine dans leur pied si bien soigné. » (p. 28). Elle multiplie d’autres exemples de “bidouillages grossiers des instituions“, qui aboutissent aux résultats de l’élection de 2017.

 

On comprendra que je me réjouisse de trouver rassemblées en quelques pages toutes les entourloupes que je dénonce depuis un demi-siècle. Je voudrais cependant la mettre ne garde contre un certain antiparlementarisme. Je m’explique : son exposé  met l’accent sur des “bidouillages“, mais ce ne sont que des ajustements mineurs. Le grand bidouillage date du coup d’Etat de 1958, du référendum de 1962 (élection du président au suffrage universel), et des lois de 1958 et 1966 sur les élections législatives, dont le Général de Gaulle est le responsable. Elle semble reculer devant cette affirmation, comme si les tares qu’elle souligne étaient dues aux seuls successeurs. Ceci transparaît dans des expressions comme « d’inspiration plébiscitaire » « les évolutions progressives » « depuis trente ans ». Même si elle n’a pas vécu certains événements, elle est suffisamment avertie pour savoir qu’en politique il faut revenir aux causes.

 

On en vient au chapitre “Ce que représenter veut dire“. Il est centré sur la démocratie représentative qui « est pour le moins grippée » (p. 33). L’essentiel de ce dysfonctionnement est attribué aux représentants actuels qui font partie d’une élite, « l’inverse exact de la tradition républicaine des grands défenseurs de la classe ouvrière » (p. 35). Elle précise « La crise de la démocratie représentative vient du fait que, depuis des décennies, les représentants se sont ingéniés à tordre le sens même de la représentation » (p. 37). Mais, selon Rousseau, c’est le propre même de tout représentant. Pourquoi ce défaut lui est-il aujourd’hui si évident ? Ne faudrait-il pas  en chercher la cause dans les modes de désignation et dans les institutions mises en place, il y a des décennies ?

 

Le coeur de son ouvrage est alors consacré au “néolibéralisme“dans le chapitre titré « centrisme autoritaire » (p. 45). Cet oxymore ( le centrisme ne peut être autoritaire puisqu’il est censé toujours osciller entre deux options) est justifié par un sondage qui montre que ceux qui se pensent au centre sont les plus enclins à accepter une limitation des libertés publiques. Elle n’est pas dupe. «  Ce que montre ce sondage, c’est tout simplement le triomphe de “l’épistocratie“, joli mot qui signifie “gouvernement des sachants“ » . Pourquoi le taxer de “centrisme“ alors que tout le chapitre dénonce l’imposture de son idéologie néolibérale « qui théorise la dérégulation absolue de l’économie et la constitution d’un marché unique par l’imposition du libre-échange total et la division mondiale du travail » (p. 68). Ensuite, la critique du despotisme du savoir des spécialistes est parfaite, que ce soit

    sur : « la fiction d’une science économique qui serait une science dure, avec ses lois intangibles. Des lois qui prévalent , donc, sur les choix politiques » (p. 48-49)

    ou (p. 52) sur la formule de Tatcher, reprise par Macron : « il n’y a pas d’alternative »

    ou sur l’Union européenne : « la désindustrialisation de l’Europe de L’ouest devient massive sauf pour l’Allemagne … » (p. 50) et « les grandes orientations de politique économique » (p. 53).

Après avoir rappelé la méthode de l’emploi d’un vocabulaire infamant autour des trois mots : populisme, complotisme et souverainisme, Polony  termine le chapitre :

    « Le bilan est tragique économiquement et politiquement » (p. 67)

    « D’où la tendance éminemment autoritaire de ce néolibéralisme affirmé » (p. 68)

    et surtout « La démocratie repose sur l’idée qu’une voix vaut une voix et que les experts sont là pour éclairer un choix qui n’appartient qu’aux citoyens, après délibération » (p. 69)

 

Bonne caractéristique de la démocratie qui annonce le chapitre suivant « La destruction du citoyen » (p. 71). Ce dernier s’ouvre sur une citation attribuée par Thucydide à Périclès « Nous sommes les seuls à penser qu’un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile » (p. 71-72). Dans une République, le passage de l’homme au citoyen devant être l’objectif de l’éducation nationale, Polony constate « La destruction du système scolaire français correspond historiquement à l’extension de l’idéologie libérale dans la sphère politique » (p. 73) et un peu plus loin « Le remplacement des savoirs par les compétences comme objectif premier est au coeur de ce processus » (p. 73-74). On  pourrait continuer le jeu des citations qui parsèment son analyse de l’enseignement, puis des réseaux sociaux, toutes, à mon avis, fort pertinentes. On saute à la conclusion du chapitre et de la critique du système actuel avec ce jugement : « … la notion même de puissance publique garante du bien commun n’a plus de sens quand “l’efficience“ devient la valeur fondamentale, tout est possible » (p. 80)

 

Un florilège de citations ne peut remplacer les détails de son petit livre qui doit être considéré comme un ouvrage incontournable, à lire par tous ceux qui veulent sortir des sentiers battus de la politiciennerie française.et comprendre les enjeux présents. « Nous sommes à la croisée des chemins » (p. 83) . Continuer ou partir à la “reconquête“, grâce à « quiconque aime les homme, … croit en un progrès possible, ne peut que défendre à tout prix une authentique démocratie et non ces simulacres qui sont en train de se mettre en place » (p. 83). Optimiste « L’être humain aspire à la liberté et se nourrit de la mémoire de ces moments, dans l’histoire, où cette aspiration à la liberté a fait se lever des masses » (p. 84). Elle répète « Pourtant une reconquête démocratique est possible » (p. 85) «  Représentation et souveraineté : tels sont les enjeux des années à venir » (p. 86). Certes oui, mais que faire ?

 

Dans ces quelques pages finales transparaît son idéalisme. N’étant pas  remontée aux causes premières de tous les délabrements sociaux, idéologiques et politiques qu’elle dénonce avec lucidité, elle ne peut que faire appel à la vertu du peuple et aux aspirations personnelles. Elle oublie le développement des forces productives qui éliminent tous les savoir-faire des individus et elle préfère ne pas voir le carcan institutionnel qui immobilise le peuple et l’expose au pilori.

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